D'un volcan à l'autre by Guy de Saint-Cyr

D'un volcan à l'autre by Guy de Saint-Cyr

Auteur:Guy de Saint-Cyr [Saint-Cyr, Guy de]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782732469812
Éditeur: La Martinière
Publié: 2014-06-15T04:00:00+00:00


Quelques-uns sont restés silencieux en m’observant. Je lis sur leur visage une certaine émotion. Je devine aussi quelques regards qui jugent, qui blessent. « On y va ! » J’ai pris mon sac. J’ai refusé l’aide que l’on m’a proposée. Pire, je marche vite pour raccourcir cet infernal retour. Je ne peux retenir ces cris de rage qui s’échappent chaque fois qu’une de mes chaussures heurte un relief ou trébuche dans les trous. Je monte, je descends, je fuis. La sueur coule le long de mon dos, ruisselle sur mes joues. Je butte, je cogne sur les roches, mais j’avance. C’est la force qui me pousse. J’accumule des pas. Je file droit. Je n’entends rien. Je n’écoute rien. Il n’y a rien à dire même si la lave a sorti ses rasoirs et continue d’entailler mes pieds. Par moments, la douleur est si vive qu’elle me coupe le souffle, contracte tous mes muscles, me donne la nausée. Elle ondoie, bat tout au long de mes jambes, m’épuise. Le moindre glissement de trajectoire vers la droite ou la gauche pour éviter un obstacle me remplit de colère. Je n’ai quasiment plus de semelles. J’évite au maximum les zones trop chaudes ou trop actives, me propulse avec de plus en plus d’efforts sur ce terrain bordé d’incandescences, accroche sans cesse la pierraille, glisse sur des plaques fragiles qui cèdent parfois et s’enfoncent.

Les profils des arêtes qui découpent le paysage nocturne en plusieurs plans défilent, se succèdent. Il semble qu’on n’en finisse pas… qu’on n’en finisse jamais. Il faut marcher, marcher encore. Même si elle est désormais loin derrière, la lueur de l’infernal brasier éclaire toujours l’horizon. Elle disparaît parfois dans le gouffre noir des reliefs.

Chacun, accablé par une lourde fatigue physique, suit mon rythme haché sans parler. Parfois, je m’arrête pour soulever un pied qui me fait trop mal, qui m’élance. C’est atroce, intolérable. Je suis de plus en plus maladroit. Mes pas se raccourcissent malgré moi, mais j’avance encore. Je serre les dents, obsédé par l’idée de rejoindre au plus vite l’hôpital. Je ne me retourne même pas lorsqu’une main secourable m’arrache mon sac à dos. Ma tête est vide. Seul le bruit lancinant de mes chaussures qui raclent le basalte accompagne mon silence.

Les éclairs de nos lampes frontales découpant l’obscurité m’apportent sans cesse la silhouette lointaine d’un véhicule qui se confond avec un bloc de lave avant de s’enfoncer et s’enfuir dans les ténèbres. Les étoiles peu à peu s’effacent. L’horizon s’éclaircit. Quand les premières lueurs du jour apparaissent, nos deux minibus lentement sortent de l’ombre.

Au centre d’urgence de l’hôpital de Hilo, nul besoin d’explications. Après une bienfaisante piqûre de morphine, mes pieds sont libérés de leur carcan à l’aide d’un sécateur et d’une pince coupante. Dans l’œil perplexe du chirurgien, je lis une certaine incrédulité. Je signe beaucoup de papiers avant de pénétrer dans la salle d’opération. Lorsque quelques heures plus tard je me réveille, mes deux jambes disparaissent sous d’énormes pansements. Une chaise roulante est à côté de mon lit.



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